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l'orgue de Sète

les instruments de facture Clergeau de cinq ou quatre jeux sont rares : destinés à des petites chapelles, églises ou des institutions, nombre d'entre eux ont pu être déplacés, vendus, transformés, ou détruits; le matériel décrit ci-dessous correspond en tout point à l'un de ces instruments.

j'ai acheté en 1981 les restes d'un petit instrument entreposé dans la cave d'un professeur de musique, dans le quartier du Barrou à Sète, sur les indications de Jean-Claude Galtier (facteur d'orgues alors installé au chateau d'Assas, près de Montpellier et qui partagea un temps son atelier avec le facteur de clavecins Michel Proulx); à la lecture des inventaires d'orgues publiés vers 1993 et ensuite, (notamment Orgues du Limousin par Robert martin) il m'est apparu en raison de nombreux indices, qu'il s'agissait d'un petit instrument du type abbé Clergeau; en particulier, les tailles relevées sur d'autres instruments similaires coïncident au millimètre près sur certains tuyaux.

au début, ignorant tout de ce type de facture, j'ai commencé par remettre en état ce qui pouvait l'être, trier les quelques dizaines de tuyaux d'au moins cinq provenances différentes, afin de reconstituer ce qui allait progressivement ressembler à un petit orgue. Puis, après quelques stages, (à titre amical avec J.C.Galtier, et également lors d'une session dirigée par Paul Cartier de la manufacture Kuhn), et découvrant l'origine de ces pièces, j'ai tenté de reconstruire un ensemble plus cohérent, en complétant avec du matériel d'occasion. Il restait trop peu de choses pour envisager une restauration à l'identique, mais le sommier (restauré par J.C. Galtier en 1982) pouvait permettre de réaliser un orgue d'étude de quatre jeux et demi, avec la possibilité d'une régale sur un second clavier. Sans prétendre le moins du monde d'avoir réussi à faire un travail de facteur d'orgues, je voudrais simplement faire partager le plaisir et la passion qui m'ont animé lors de cette reconstruction.

le matériel acheté en 1981
le premier remontage
une seconde version
l'origine du matériel
l'instrument actuel
conclusion

 



le matériel acheté en 1981
:

(les premières photos argentiques scannées ne sont malheureusement pas de très bonne qualité, et pour homogénéiser
la présentation, je conserve le noir et blanc pour toute cette partie)


le réservoir à deux plis rentrants et deux pompes en triste état...la table supérieure a disparu, et l'ensemble était rongé par l'humidité
irrécupérable, il ne sera pas réutilisé

 

le sommier

 

.....
le sommier en chêne (y compris les barrages et les registres) de 5 jeux dont un coupé en basses et dessus,
et un clavier d'harmonium ayant été adapté, le clavier d'origine ayant disparu; les soupapes, et les ressorts ont
été rénovés en 1982 par J.C. Galtier (voir ci-dessous), qui a également effectué un ponçage de la table et une égalisation
des chapes, certaines étant déformées à cause de noeuds dans le bois

........... largeur des chapes en cm :

bourdon prestant nazard doublette clairon-hautbois
11,1 10,7 10,1 8,6 11,3

 

observations après démontage :

 

composition relevée sur les faux-sommiers (inscriptions au crayon):

 

-bourdon 8 (en bois) 1ère octave postée
-prestant 4 (1ère octave en bois postée)
-nazard 2 2/3 (cinq tuyaux postés)
-doublette 2 (sur sommier)
-clairon-hautbois 4-8 (demi-jeux)

certains en plusieurs morceaux...

 

 


les faux-sommiers et les supports, en chêne ; sur le troisième faux-sommier, on pouvait lire aussi "principal-quinte"
certains ont été recoupés, recollés, etc...

 

 

de haut en bas :

-bourdon 8

-prestant 4

-nazard

-doublette

-clairon-hautbois 4-8


les registres en chêne, épais ; remarquer le système de basse et dessus pour celui du bas, et un demi-registre en haut
qui seul a pu être récupéré en raison de trop nombreux noeuds dans le bois sur l'autre moitié
mais une réfection à l'identique est toujours possible !

 

......
le sommier sans les chapes (remarquer les papiers collés sur les faux-registres pour rattrapper les différences d'épaisseur)
à droite une chape dont on voit ici le dessous, gravé pour éviter les emprunts d'une note à l'autre

il a fait l'objet d'une réfection par J.C. Galtier : nettoyage, ponçage de la table et des chapes, remise en peau des soupapes, nettoyage des ressorts
maheureusement, les noeuds et les défauts du bois (visibles sous la chape à droite) ont causé par endroit certaines déformations nuisant à l'étanchéité

 

.....
la laye ouverte, les soupapes collées en queue et leurs guides en laiton refaits, les ressorts à double boucle et double pointe

 

 

.....
le balancier de chêne en éventail et les écrous de réglage (certains en bois, d'autres en cuir...) et détail à droite
on remarque la plaque de métal (laiton) percée qui fait office de boursettes, caractéristiques de ce type de facture
le système de fermeture du tampon de laye (qui présente de nombreux trous de vis rebouchés) a été modifié : barres de fer, vis et écrous papillons


la tuyauterie

elle consistait en quelques dizaines de tuyaux d'étain, de plomb et de bois, de provenance différentes :

-une quinzaine de tuyaux d'étain ou d'alliage, assez épais, avec des dents fines, au ton ou avec entaille
-une vingtaine de tuyaux plus petits, de différents types, dont des tuyaux de mixture en plomb, type "tube de gaz" de Puget
-vingt-quatre tuyaux bouchés en sapin dont douze avec tampons trapézoïdaux, parfaitement adaptés aux faux-sommiers, donc d'origine (env.1860?)
-le complément de dessus du bourdon 8 plus récent, avec "lèvre inversée" (le biseau oriente l'air vers l'intérieur du tuyau)
-une quinzaine de tuyaux ouverts en sapin, peints en rouge, de deux sortes (basse de prestant et de nazard)
-une série de trente-sept tuyaux d'orgue mécanique ou de foire, en bois très mince, avec tampons arrondis ou pyramidaux

certains pieds ou tampons trop rongés par les vers ont été refaits ; de nombreux petits tuyaux trop piqués ont été brûlés
le métal des tuyaux écrasés ou irrécupérables a été fondu et réutilisé

 

..... .......
première octave du bourdon 8 (coté ut), au centre deuxième octave, et à droite le fa#4 d'origine (le seul rescapé des dessus!)
les corps sont en sapin, lèvre en chêne pour les tuyaux de Clergeau, en fruitier pour les autres plus récents
on remarque que la disposition du pied sur le fond du tuyau (ils ne sont pas au centre) change d'un tuyau à l'autre , pour s'adapter exactement au faux-sommier et à la chape : c'est un gage d'authenticité de cette partie de la tuyauterie

 

........
reconstitution de la basse de doublette et à droite le dessus de tuyaux bouchés provenant d'un orgue mécanique ou d'un orgue de foire; les bouches ont été rabaissées avec du carton pour en faire une flute de 4 (désolé pour les puristes mais faute de moyens, j'ai cherché à réutiliser le maximum de matériel...)

en résumé, je crois n'avoir pu retrouver qu'une trentaine de tuyaux de l'orgue d'origine qui devait en compter 270 (5 x 54)
les tuyaux d'anches ont totalement disparu

c'est bien peu pour reconstituer un instrument...

 

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le premier remontage, rapide et sommaire ...

pressé d'entendre les premiers sons, je remonte hâtivement ce qui est récupérable : sommier sur une charpente en contreplaqué, tuyaux disparates, qui ne sonnent pas ou mal, tampons mal ajustés, registres qui coincent... un petit ventilateur fournit le vent d'une stabilité hasardeuse...

....... .......
le ravalement de la première octave a nécessité la construction d'un petit abrégé à l'italienne
avec des tringles de fer coudées maintenues en trois points par des boucles de fil de laiton

le résultat est un ensemble assez composite et décevant, on est très loin d'un orgue...
je décide alors de compléter mes connaissances et de reprendre complètement le tout en suivant le plus possible les règles de l'art
(contact avec Jacques Bétoulières, organiste à la cathédrale de Montpellier, échanges avec divers facteurs d'orgues, formation et stages)

 

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une seconde version, un peu plus élaborée :

 

le matériel est complété par un pédalier, je construis un abrégé en bois, avec tirage par fil de fer, comme dans les instruments italiens; quoique d'apparence rudimentaire, cette mécanique n'a jamais été mise en défaut en plus de vingt cinq années d'usage...

.....
l'abrégé de pédale et les pilotes qui agissent sur les balanciers; on aperçoit le tirage des jeux qui sera construit plus tard

commande d'un complément neuf pour le prestant et la doublette chez Klein (tuyautier à Woerth) en récupérant le métal d'environ cinq kilos de tuyaux trop abimés pour obtenir ainsi quatre jeux :

-bourdon 8 (24 tuyaux de basse d'origine, dessus tuyaux en bois XIXème provenance inconnue)
-flûte 4 (1ère octave tuyaux ouverts Clergeau rebouchés, la suite, tuyaux orgue mécanique réharmonisés)
-doublette 2 (trente premiers tuyaux pour certains d'origine , dessus neuf)
-basse de principal 4 (1ère octave emprunt flûte 4 , 2ème octave neuve)
-dessus de prestant 4 (neuf)

la demi-chape restante n'est pas utilisée, et il n'y a pas encore de mécanique de tirage de jeux

.....
le vent est produit par un petit ventilateur Meidinger (1/4 ch) enfermé dans un caisson insonorisant
régulation par vanne à guillotine et un réservoir à table flottante ; pression 40 mm d'eau

je récupère également une basse de montre de quatre pieds en métal; il ne s'agit pas de zinc, ni d'étain, ni d'étoffe, mais d'une sorte de fer-blanc, assez rigide, qui fera l'affaire pour la façade, provenant d'un petit instrument de Puget selon J.C. Galtier

 

et voici la seconde version, avec façade et pédalier, mais pas encore de mécanique de tirage de jeux :

..................

composition : bourdon 8, flûte 4, prestant 4 (basse et dessus), doublette 2


l'esthétique de l'ensemble est minimaliste (comme les petits orgues de série Gonzalez qui ont succédé à l'Unit-Baby)... et l'absence de buffet et l'exiguité de la pièce concourrent à donner un son un peu agressif, en particulier le bourdon sonne trop "doux" par rapport aux tuyaux d'étain qui fatiguent vite l'oreille en raison de leur proximité,et ce malgré la faible pression du vent ; néanmoins, les deux jeux en bois de 8 et 4 rendent de manière agréable, et permettent de travailler. L'instrument reste ainsi quelques années.

 

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l'origine de ce matériel

en parcourant les inventaires, (surtout "Orgues du Limousin par Robert martin", 1993 ASSECARM-EDISUD), je remarque la similitude de la forme des tampons du bourdon 8 qui avait attiré mon attention dès le début ; et la lecture de la communication de Philippe Hartmann lors du Symposium sur les grandes dynasties de facteurs d'orgues Lorrains me conforte dans l'idée que ce matériel provient bien d'un petit instrument du milieu du XIXème siècle (voir cette page) :
<<...En gros, cela a surtout donné les instruments à mécaniques à bascules et à éventail, avec des layes qui n'ont plus de boursettes mais des fils traversant une plaque de métal. On abandonne également les ressorts libres sur une des branches, que les Callinet ont conservé, et on adopte les ressorts à pincettes, à 2 pointes qui rentrent dans un trou, tant dans la soupape que dans le guide.. ... Les facteurs "modernes" de 1830 feront donc ce type d'orgues de campagne; certains sont signés de Stoltz, d'autres ont été répandus par l'abbé Clergeau. ..... Les Verschneider ont très bien pu travailler à Paris et aussi centraliser une construction chez eux, qui a pu être revendue par des relations parisiennes ou par des amitiés avec d'autres facteurs.
..>> Fédération Française des Amis de l'Orgue - Orgues en Lorraine-Mosellane - Symposium Les grandes dynasties de facteurs d'orgues Lorrains (Ed Organa Europae BP16 88101 SAINT-DIE CEDEX) extrait de : COMMUNICATION de M. Philippe HARTMANN St-Avold Samedi 9 Juillet 1988.

... .....
à gauche le bourdon de Felletin (Inv. cité), à droite, l'orgue Stoltz de Bettange avec les tampons trapezoïdaux caractéristiques

ci-dessous la 2ème octave du bourdon avec certains tampons d'origine, et à droite le balancier en éventail ;
.......
la forme trapézoïdale caractéristique, la composition identique (à part la flûte de 8), le jeu coupé clairon-hautbois 4-8, les dimensions des chapes, les tailles des tuyaux, tout conduit à croire qu'il s'agit du modèle "5 jeux" décrit dans les prospectus de l'abbé Clergeau. Il ne pouvait y avoir de doute sur la provenance du bourdon, car comme indiqué plus haut, la position de chaque pied de la seconde octave, qui ne se trouvait pas au centre du tuyau, s'ajustait parfaitement au faux-sommier et à la chape. Il s'agit donc bien des tuyaux destinés à ce sommier. La plupart des tuyaux d'étain ont un biseau qui présente des dents fines, qui semblent quelquefois avoir été grattées.

 

faut-il pour autant l'attribuer aux "ateliers de l'abbé Clergeau" ? (l'orgue d'Olargues, à une cinquantaine de kilomètres de Sète, a été construit entre 1845 et 1850, mais installé en 1900...) j'en suis persuadé, et je crois que ce sommier, cette mécanique, et les quelques tuyaux d'origine, sont de rares reliques d'un "modèle 5 jeux"

 

 

 

l'orgue de Marennes (inv.17) donne un bonne idée de ce qu'a pu être cet instrument à l'origine : une sorte d'armoire aux volets découpés, avec le clavier transpositeur sur le devant, et le clairon-hautbois en façade

 

(le buffet sculpté était en option sur ces petits modèles)


photo inv.17

 

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l'instrument actuel

partie dans laquelle on s'éloigne un peu des orgues de l'abbé Clergeau...

ayant pris conscience tardivement de la provenance de ce matériel, et ce qui en restait ne permettant pas de reconstituer l'orgue d'origine de manière satisfaisante, je me suis donc orienté vers la reconstruction d'un petit orgue d'étude, en préservant au maximum ce qui existait ; par ailleurs, la pièce qui l'accueillait n'étant pas très grande, il était exclu d'envisager un clairon-hautbois si près des oreilles de l'éxécutant. Enfin, une demi-chape étant inexploitable (trop de fuites en raison de noeuds dans le bois) il n'était pas possible de replacer le prestant sur sa chape d'origine sans une nouvelle intervention sur le sommier : celle-ci a donc accueilli un dessus de nazard, et le prestant occupe la place du clairon-hautbois.

le projet a pris corps progressivement, et finalement les choix suivants ont été arrêtés :

-construction d'un buffet en sapin, avec plate-faces et claire-voies découpées pour améliorer la résonance
-installation d'un deuxième clavier pouvant accueillir plus tard une régale (en attente)
-agrandissement du réservoir à table flottante pour une meilleure stabilité du vent
-construction du tirage de jeux (voir cette page)
-acquisition et pose d'un dessus de nazard 2 2/3 d'occasion sur la demi-chape restante

ce qui pouvait être du matériel d'origine de l'orgue Clergeau a été respecté

...

 

quelques étapes :

...........
construction du buffet : la façade (faux-tuyaux en bois peint pour les plate-faces médianes) et détail d'une claire-voie

 

...............
le buffet terminé, on aperçoit les tuyaux du prestant, et première mise en place des tuyaux de métal

 

..... .....
l'intérieur du buffet : à gauche côté ut#, au centre vue générale des tuyaux et à droite côté ut et bourdon en bois

 

l'ensemble terminé :

 

 

 

 

bourdon en bois 8

flûte en bois 4

basse de principal 4

dessus de prestant 4

dessus de nazard 2 2/3

doublette 2

 

 

second clavier : régale 8 (en attente)

 

 

pédale en tirasse sur le premier clavier

 

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en conclusion...

le point de départ de cette réalisation était l'acquisition de pièces détachées pour remonter un petit orgue d'étude ; mais une analyse plus approfondie du matériel a conduit à s'intéresser de façon plus générale à ce type d'instruments, et à celui qui les commercialisait. D'où le double intérêt qui m'a animé : celui d'en savoir un peu plus sur l'abbé Clergeau et ses réalisations, et parallèlement, redonner vie à un de ses petits instruments, en essayant d'utiliser au mieux le matériel dont je disposais.

hélas, le temps fait toujours son oeuvre, et le sommier, restauré il y a maintenant une trentaine d'années commence à présenter des défauts d'étanchéité; de même certains tuyaux de bois sont à nouveau attaqués ou se décollent...

peut-être le point de départ d'une nouvelle tranche de travaux ?

 

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